Une journée d’auteur

Un auteur est une personne rituélique. Sa journée est rythmée par un ensemble de rituels, dont certains revêtent une importance capitale pour libérer sa créativité. A la limite, on pourrait même dire que la sonnerie du réveil constitue le premier rituel. En tout cas, pas besoin de tirer l’auteur du lit, chaque matin, chaque jour que Dieu fait est un futur plaisir. Le plaisir de s’asseoir à la table de la création, à la table de la rédaction, à la table des ses envies. On ne devient pas auteur, on rêve d’abord de devenir auteur et ensuite seulement, quand on a pris conscience de ce rêve, on décide de devenir auteur. C’est un acte fort, une décision sans retour, un peu comme un saut en parachute. Mais les rêves ne font pas vivre, l’auteur en a conscience et sait qu’il passera inévitablement par les affres de la page blanche, par les affres du manque d’inspiration, par les affres de l’hébétude après de longues heures de séance productive, d’où l’importance d’avoir un rythme, des rituels, comme s’il s’agissait d’une chanson : le rythme du rituel ou le rituel du rythme…

 

Mais le premier rituel, rituel parmi les rituels, c’est bien celui de se lever avec si possible la certitude de passer une belle journée. Pourtant chaque sonnerie est différente, car chaque matin, la densité de l’air, la perception que l’auteur peut avoir de la sonnerie du réveil est différente. Peu importe, ce qui compte, c’est de se lever du bon pied et pour ne pas froisser le pied gauche ou le pied droit, l’auteur se lève à pied joint. Pas de frustration du pied gauche ni du pied droit, les deux pieds en même temps, et voilà la journée qui commence. Bien entendu, comme tous les auteurs, notre auteur se lève aux aurores, voire bien avant celles-ci. La créativité n’attend pas et il ne faut pas se laisser aller à la procrastination littéraire. « Ne remet jamais au lendemain ce que quelqu’un d’autre pourrait écrire à ta place le jour même ». Telle est la devise, quasi militaire de notre auteur. D’ailleurs, le militaire a un petit coté rituélique, du moins dans les casernes où le temps est rythmé par les exercices en tout genre, les marches au pas, diverses et variées, les saluts au drapeau, le nettoyage des engins de guerre, tout ça forme un grand rituel, le rituel de la connerie humaine. Surtout que sur le théâtre des opérations, quand vraiment il s’agit de faire la guerre, la vraie, pas la guerre de caserne, fini, le bel ordre rituélique de l’armée, c’est plutôt sauve qui peut et sauve ta peau.

Mais revenons à la chronologie de la journée de notre auteur. Une fois debout, les deux pieds déjà bien ancrés dans le présent et la réalité du réveil, un fois posé un doux baiser sur l’oreiller où sa femme dormait encore deux ans auparavant (elle avait disparue éventrée par un trente huit tonnes dans un rond point : la mort subite de l’adulte). Il prend ses affaires, préparées la veille sur la rambarde de l’escalier. Même s’il connaît par cœur cet escalier, il tient la rampe de la main gauche et ses affaires repliées sur le bras droit. Depuis que les enfants sont un peu plus grand, il met un slip pour descendre au cas où. Mais à cette heure là, à 4 heures du matin, peu de risque de rencontrer l’une de ses deux filles. C’est sa femme qui lui avait suggéré de modifier son rituel de la descente de l’escalier tout nu, on ne savait jamais. Le deuxième moment le plus important pour l’auteur, c’est sans conteste, la douche, le reste n’est en fait qu’une succession de pas horizontaux ou semi-verticaux dans l’escalier qui le mène à son destin hors norme : prendre une bonne douche, frotter son visage sous l’eau chaude, choisir le savon parmi la collection de savons de Marseille qu’il se fait livrer tous les deux mois et surtout, une fois la douche terminée, passer la raclette sur les parois de la douche Italienne, finir par le receveur au sol, receveur en résine, sur lequel l’eau ne doit pas stagner. Pour notre auteur, pas question qu’une goutte persiste et signe après son passage, tout doit être nickel, presque aussi sec que s’il n’avait pas pris de douche.

Enfin, l’heure du petit déjeuner a sonné. Pas question de s’attabler à la table de la créativité sans s’attabler à celle du petit déjeuner. Pour le coup, rien ne pourra faire déroger notre auteur de ce rituel. Il garde encore les deux maximes de sa grand- mère en tête, elle qui a connu la guerre 39-45, l’occupation nazie et les privations en tout genre. « Un sac vide, ça ne tient pas debout » et la deuxième, nettement plus philosophique : « faut manger pour faire caca ». A table donc, pour un sérieux petit déjeuner, presque un « sérial-petit dèj ». Jus de fruits, baies de Goji, Physalies séchées, comprimés de spiruline, trois belles tranches de pains complet, jambons, œufs durs, parfois un steak de dinde, un fruit ou un smoothie, fait de la veille, beurre, confiture et un grand bol de thé vert.

 

Un tour sur You Porn pour voir les nouveautés tout en dégustant cet excellent petit déjeuner, histoire d’affûter sa sensibilité. Invariablement comme depuis 3 ans maintenant qu’il avait décidé de devenir auteur, un branlette matutinale devant ces films, tous plus surréalistes les uns que les autres en terme de scénario sexuel. C’est ce qu’Amélie Nothomb aurait appelé «  L’hygiène de l’auteur ». Nouvelle douche ultra rapide, un coup sur les dents, déodorant sous les bras, gel dans les cheveux, parfums comme à l’époque où il était commercial grands comptes et qu’il fallait sentir bon toute la journée, rasage si besoin, au pire tous les trois jours. Pour notre auteur, la barbe ne facilite pas la création, elle aurait plutôt même tendance à l’annihiler.

 

Voilà, une heure exactement après avoir posé les deux pieds sur le sol, l’auteur peut se diriger vers son bureau de la créativité, son antre, son lieu. Situé dans la maison d’en face, partiellement rénovée, il avait fait aménager deux pièces uniquement dédiées à sa création. L’une avec les outils de l’écrivain, ordinateur, feuille blanche, dictaphone pour les idées qui jaillissent soudainement et qu’il ne faut pas laisser filer, une bonne cafetière, une théière, des réserves de Thé vert de tout sorte et bien sur la musique, rituel parmi les rituels dans ce bureau somme toute assez grand avec une belle vue sur la campagne.

L’autre pièce rénovée juste à coté du bureau, contient toute une variété d’engins de sport, rameur, banc pour les abdominaux, Home trainer pour le vélo, élastiques, sangles pour la musculation, haltères…etc Toute une mini salle de sport uniquement dédiée à son corps, à l’entretien de ce corps, autrefois corps d’athlète. Pas question d’envisager la création à la mode défonce, toute la sainte journée, au régime clope Whiskies, ça ne peut pas donner de bons romans, encore moins de bon romanciers, encore moins de romanciers qui dure dans le temps. Cette salle de sport, encore un coup de l’ « hygiène de l’écrivain ».

 

Sur que cette maxime « un esprit sain dans un corps sain » aurait pu être gravée au dessus de la porte du bureau de l’auteur. Pas sur que d’aller tous les matins faire un tour sur You Porn soit la meilleure preuve de sainteté d’esprit, de sainteté intellectuelle, mais peu importe, notre auteur sait que pour écrire 4 heures d’affilées, assis dans la même position, il faut une excellente condition physique, un moral d’acier, un peu comme ses altères, une ceinture abdominale redoutable et donc une pratique physique intensive.

 

Même pas peur de la page blanche, voilà la première réflexion en buvant un deuxième petit café. Le tout est de se jeter dans l’écriture, il en ressortira toujours quelque chose, une belle tournure, une belle image, quelques sons, mais il en restera toujours, qui pourront être utilisés dans un autre contexte. Ce coté même pas peur, même pas mal lui vient de l’époque où il pratiquait les sports extrêmes, ceux où la notion d’engagement est primordiale, ceux où il faut y aller sans trop se poser de question. Avec la page blanche, même méthode, même approche, même rituel qu’au sommet d’une pente à 55 degrés en ski extrême. C’est le premier virage qui donne toute sa fluidité à la descente, ce sont les premiers mots qui vont donner le là de ces quatre heures d’écritures. Quatre heures entrecoupées au bout de deux heures d’une pose technique, appelons-là comme ça. Une pose énergétique, avec à nouveau deux petits cafés, un grand bol de thé vert quelques biscuits au soja gout orange. Invariablement, ces mêmes biscuits soja orange pour la pose. Quelques étirements, éventuellement une micro sieste et surtout 20 minutes à regarder par la baie vitrée histoire d’animer un peu ses yeux et de changer de la lumière artificielle de l’écran du PC. Souvent, en regardant dehors la nature vivre sa vie, les arbres flotter dans le brouillard, les oiseaux au vol subtil, en appréciant ces moments instables, ces moments souples, une ou plusieurs idées fusent dans sa tête, et il est l’heure de nouveau de se remettre à table, à la table des écritures.

 

Midi claque dans l’air, il le sait, le chien, un extra terrestre de chien, un malamute de plus de 50 Kg, vient lui rappeler les fondamentaux du règne animal : manger, japper, aboyer, pisser, chier, dormir, laisser des poils partout (surtout cette race là), se reproduire sauf dans le cas de son chien, trop cher de lui faire faire une saillie. Du moment qu’il n’y goute pas paraît-il, il ne se saura jamais ce qu’il a perdu, tant mieux pour lui, brave chien puceau. Des croquettes, donc pour ce monstre qui en dévore chaque mois 20 Kilos. Un peu d’eau, et voilà satisfaient les besoins vitaux de la bête.

 

A midi pile, l’heure où certains commence à travailler, il est temps pour l’auteur de faire du sport, souvent une longue séance aérobie, footing, vélo, canoë, brefs tout ce qui va taper dans la filière aérobie, consommer les graisses inutiles et contribuer à son équilibre en évacuant toutes les tensions ou les toxines de la veille, de ces heures passées à écrire, à penser, à rêver, à créativer, à phosphorer, à distinguer les mots les uns des autres, à faire des choix, à se relire, à corriger, à améliorer, à amender, à effacer, à raturer, à parfaire, à souligner, à relire, à changer, à consulter le dictionnaire étymologique, à consulter le dictionnaire des synonymes, à consulter le dictionnaire tout court de long en long…

 

Le désir de sport se fait sentir, il sait que demain sera une journée dédiée à la musculation, aux efforts courts et violents, aux soulèvement de charges, à la rupture de sa capacités physique et il aime ces changements de travail musculaire, comme il aime les changements de rythme dans un roman. Ce qui lui plait le plus dans l’écriture, ce sont ces changement de rythme, de vie, de lieu, de personnage, cette capacité à lier l’ensemble, rassembler l’intrigue, rassembler ce qui est épars dans son putain de cerveau reptilien, toutes ces idées qui germent pour faire jouer les harmonies de la cohérences et sortir in fine, une belle histoire.

 

Après ces longues séances aérobies, ou de renforcements musculaires, place à la troisième douche de la journée, je vous rappelle la première, celle du réveil, la seconde, post-masturbatoire et la troisième, après le sport. Un esprit sain avec une peau saine. Désormais, il faut continuer à alimenter le cortex cérébral, il est l’heure de nourrir la création et donc de se plonger dans la littératture. L’auteur a toujours trois ou quatre bouquins, romans, magazine en cours de lecture. Pas de racisme, ni de dogmatisme, Lui avec Frédéric Beigbeider comporte de très belle pages et de très belles réflexion, de quoi alimenter le corps et l’esprit, les Echos, plutôt très libéral le Monde pour l’ouverture du même esprit, et par soucis du contradictoire, Libération un journal dit de gauche. L’auteur sait que rien ne vaut l’antithèse de la thèse pour se forger une opinion, la sienne.

En deux temps trois mouvements, la fin d’après midi est arrivée, les enfants sont rentrés de l’école, l’auteur a fait place à l’homme au foyer, homo erectus cuisinus partentalus. Ses filles, adorables d’adolescences vont encore piailler, rires s’engueuler mais surtout apprécier la cuisine qu’il leur aura préparée. Rien de tel que de passer un moment avec elles le soir, entre 18 heures et 22 heures, échanges, rires, leçons, poèmes, chansons, lavage de dents, rituels des peluches avant de s’endormir pour la plut jeune. 22 heures a sonné, il est temps de se rapprocher du réel, et surtout du passé, celui où sa femme était encore en vie, dans sa vie, dans leur vie. Ces tonnes de métal qui ont broyées sa vie, leurs vies. Oui, broyées sa vie, du moins son ancienne vie, celle du temps de la vie conjugale qui avait fait place à l’amour. Mais une vie conjugale aimante, où il se sentait aimé, choyé, respecté où il lui plaisait de se laisser aller contre la douceur de sa louve, la courbe de ses hanches ou de se seins magnifiques, dorés, capitonnés. Elles avait une sensualité sans fin, une dimension d’étoile, son étoile, son firmament et pas son fir-maman comme elle lui disait quelque fois. 22 heures minuit, le dernier rituel de la journée, avant de s’endormir profondément du moins il le souhaite, dernier rituel un peu destructeur, son passé de rocker le rattrape tous les soir, la nostalgie et la mélancolie qui va avec aussi. Ces souvenirs diffus de cette vie antérieure, ces soirées de commercial grand compte, de défonces, de rencontres tout azimuts, de fêtes interminables de cocaïne pour se lever le matin. Aller voir les clients, rouler comme un dingue sur l’autoroute, travailler jour et nuit, rencontrer des fonds d’investissement, des banquiers en tout genre, des filles en tout genre aussi, des mecs poilus, des mecs poilophobes,……

 

Et ce soir, comme tous les soirs, c’est clope et bière pendant deux heures, deux heures intenses pour se déchirer et oublier cet appel téléphonique de la gendarmerie qui a fait basculer sa vie, leur vie. Elle ne voulait pas qu’il fume, alors maintenant qu’il est libre dans cette prison qu’est la solitude, il fume, mais juste le soir, toujours dehors, question de rituel, quelque soit le temps, la météo. Il en a pris des brassées en fumant le soir, même planqué sous la paillote, il s’est fait rincé. En fumant, comme tous les soirs, ces questions lancinantes. As-telle vu venir la mort sur elle ou bien tout a-t-il été si vite qu’elle n’a rien vu, rien senti, rien pensé. La première cigarette est finie, la deuxième arrive aussi sec, pas de réponse, ni dans le cosmos, ni dans la nature, ni dans les bières, ni dans la fumée qui s’échappe de ses lèvres. Il espère ce soir dormir sereinement, les cachets que lui a prescrit le médecin ne lui font plus rien, il n’a qu’une envie, partir en live comme tous les soirs à la même heure. Alors que la troisième cigarette est fini, la porte s’ouvre enfin sur le fantôme de sa femme qui lui dit d’aller se coucher, il essaie de parler, de prononcer quelques vagues phrases, ses jambes ne répondent plus, tout devient mécanique, envoûté, il monte les marches de l’escalier au bras de ce fantôme sensuel, trébuche au pied du lit, se laisse déshabiller par le fantôme, se laisse caresser par le fantôme et s’endort profondément en attendant le prochain rituel, celui du réveil et des deux pieds sur terre.

 

Lie Sherp

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Lie Sherp

Lie Sherp, auteur enragé mais pas dérangé. Impulsion d'écrire. Dictée de la pensée et des rêves, magie et enchantement des enchaînements de mots, verbes, adjectifs, pluriels ou singuliers.